Depuis presque deux ans, les laboratoires sont confrontés à de vraies problématiques sur la visite médicale. Un médecin sur deux refuse d’être visité à son cabinet par des délégués médicaux, en parallèle, on observe une diminution du temps dédié à ces derniers. Les professionnels de santé ont été en première ligne face à une offensive virale dont la conséquence fut une explosion du nombre de consultations. Dans la perspective d’échanges pérennes avec les professionnels de santé, les laboratoires ont dû revoir leurs stratégies d’approche et de communication.
En effet, les industriels du secteur pharmaceutique ont dû faire face au défi des agendas surchargés et dès lors, le canal digital est rapidement apparu comme un allié majeur dans les échanges entre les deux parties prenantes. L’arrivée de l’épidémie de Covid-19 s’est révélée être un accélérateur de la digitalisation du secteur de la santé en France tant pour les patients (via la téléconsultation) que pour les laboratoires (via la visite médicale à distance). Cependant, même si l’on cite Machiavel « deux grands mobiles font agir l’Homme ; la peur et la nouveauté1 », une interrogation demeure : Sachant que la visite médicale en face-à-face est la pierre angulaire de cette relation duale, comment les laboratoires peuvent-ils réussir à engager les professionnels de santé au travers d’une démarche digitale ?
Un virage digital amorcé par la crise
Le secteur de la santé fait face à une dualité entre les visites médicales des laboratoires en face-à-face et à distance. En effet, si dans une ère pré-Covid plus de 70% des visites médicales2 étaient des visites physiques3, un changement de conjoncture s’est opéré. Face à une flambée épidémique, les laboratoires ont dû adapter leur approche et trouver un moyen d’atteindre les médecins en se privant des actions « terrain ».
Ainsi, les industries pharmaceutiques ont déployé leur outil digital en optant pour des actions de marketing direct. Des stratégies de push marketing4 ont été mises en place. On observe une multiplication par quatre du volume des contenus commerciaux5, soit une sursollicitation marketing des médecins.
Or, ces nouvelles habitudes et attentes, mises en place pendant le confinement, survivront-elles dans une ère post-Covid, au point de modifier durablement le mode de réception des visiteurs médicaux ? En effet, une stratégie digitale ne doit pas être uniquement un palliatif dans un contexte de pandémie ; c’est pourquoi le couplage des tactiques digitales avec les délégués médicaux sera un marqueur d’innovation marketing.
Aujourd’hui les professionnels de santé approuvent les canaux de visites médicales à distance qui sont prédominants dans leurs échanges avec les laboratoires. En effet les médecins sont enclins à basculer vers des modes de réception digitaux. Un modèle de « visites hybrides » se développe – au moins pour les visites médicale dites « de rappels ».
Un contenu adapté et attractif : la clé de la visite médicale à distance
La digitalisation de la visite médicale repose sur trois piliers essentiels :
- les visiteurs médicaux qui assurent les réunions à distance,
- la technologie qui permet de supporter les formats numériques,
- le contenu qui compose et nourrit l’échange entre les professionnels de santé et les visiteurs médicaux.
Ainsi, comme le prouve l’adage « The content is king6 », le contenu reste une des pierres angulaires de la visite à distance et revêt un caractère essentiel pour les médecins.
Aujourd’hui, la principale faille réside dans le manque de diversification des contenus, ces derniers étant des « copiés-collés » des documents papiers. Selon une étude menée par Euris Group7, les professionnels de santé privilégient les informations théoriques (données cliniques, formations pathologies…), tandis que les visiteurs médicaux offrent des informations pratiques. Ce qui est de loin les moins intéressantes selon les médecins interrogés. Dès lors, si aucune refonte n’est effectuée, le décalage entre le contenu offert par les visiteurs médicaux et le contenu privilégié par les médecins tend à s’élargir considérablement.
En s’appuyant sur plusieurs études8, la solution est à portée de bras. Il faudrait présenter un contenu ayant une réelle valeur ajoutée pour le médecin soit un contenu qui est plus proche de ses attentes. Cela inciterait efficacement ce dernier à prendre le virage numérique et l’engager durablement. Dans la mesure où la visioconférence demande plus de concentration que la visite en face-à-face, il est primordial que le contenu soit adapté pour être plus attractif.
Les opportunités offertes par le canal digital
Avec l’engouement grandissant des médecins envers le canal digital, une tendance se dégage : l’élaboration d’une stratégie de pull marketing9. Pour vulgariser le propos, face à des médecins débordés de rendez-vous avec très peu de temps à consacrer aux visiteurs médicaux, le but de cette stratégie est de se placer comme récepteur de l’information et non plus émetteur. Il faut se rendre disponible pour le médecin lorsque ce dernier ressent un besoin d’information et non plus lui apporter l’information sans même qu’il n’en effectue une quelconque demande.
D’un point de vue commercial, les laboratoires doivent ’adopter une approche centrée médecin pour susciter son intérêt et l’engager durablement. Dès lors, il s’agit10 de segmenter la cible de médecins grâce à une base de données qualitative pour établir des plans d’action spécifiques selon le profil de chaque médecin (digital engager11 – digital learner12 – traditionalist13) afin de pouvoir élaborer des clusters14. En effet, ce procédé permettrait d’apporter des messages quasi-sur-mesure pour chaque sous-cluster et accroître l’expérience client des médecins dans le but de les engager jusqu’à les fidéliser.
S’appuyer sur le canal digital en organisant des évènements virtuels par exemple, c’est comprendre en profondeur les préférences de chacun, suivre les informations délivrées, analyser des tendances de fréquentation et posséder des retours précieux afin d’éclairer la planification stratégique future. Finalement, il s’agirait d’utiliser le canal digital pour développer la digitalisation en poussant le concept de visite hybride : proposer la visite à distance comme complément de la visite en face-à-face. Aussi, l’utilisation de ce canal permet des gains tels qu’une flexibilité accrue, une facilité de recueil d’optin ou encore la possibilité d’obtenir des données scientifiques actualisées.
Certaines entreprises ont déjà saisi cette opportunité en proposant des nouvelles solutions digitales comme des webinars, des sessions de workshops à distance ou bien même un chatbot via la création d’un réseau social destiné uniquement aux professionnels de santé. La délivrance de l’information et de la formation aux médecins se modifie et certaines agences spécialisées dans le healthcare développent des processus pour servir les laboratoires dans leur démarche promotionnelle auprès des médecins15. Le contenu offert par ces innovations s’accompagne d’une valeur ajoutée forte dans la mesure où il s’inscrit dans une logique de closed loop marketing16.
En conclusion, la digitalisation des professionnels de santé est en marche. Cependant, l’adoption de l’outil digital n’est pas encore unanime, ce qui laisse entrevoir une véritable opportunité à saisir. Dès lors, pour engager concrètement et durablement les médecins dans cette pratique, il est indispensable de proposer un contenu partiellement modifié et adapté à l’outil digital, soit un contenu attractif. Ainsi la solution la plus adaptée, pour les laboratoires, serait la visite hybride – concept synonyme d’agilité et d’adaptabilité face au monde de demain – proposant la visite à distance comme un élément complémentaire à la visite face-à-face.
(1) Nicolas Machiavel, Le Prince, 1532
(2) On entend par « visite médicale » les visites faites par les visiteurs médicaux des laboratoires au sein du cabinet d’un médecin ou d’un spécialiste.
(3) Etude menée par le Leem et ACTIS, Visite médicale, impact du Covid sur les relations avec les professionnels de santé, septembre 2020.
(4) On entend par stratégie de push marketing, une stratégie proactive qui vise à créer le besoin pour ensuite pouvoir le satisfaire.
(5) Selon une étude VEEVA
(6) « The content is king », Bill Gates, 1996.
(7) Euris Group, How Covid-19 crisis triggered digital innovation in pharma industry ? , 2020.
(8) Etude benchmark rélaisée par Veeva Pulse (2021) | Etude visite médicale, impact du Covid-19 sur les relations avec les PDS, Leem et Actis, septembre 2020.
(9) On entend par stratégie de pull marketing, une stratégie s’articulant autour d’une démarche réactive qui vise à répondre à un besoin sans avoir créer ce besoin en amont.
(10) Etude VEEVA réalisée en 2021.
(11) Digital engager : professionnel de santé qui est déjà engagé dans une démarche digitale.
(12) Digital learner : professionnel de santé qui a la volonté de se digitaliser.
(13) Traditionalist : professionnel de santé qui reste attaché aux formats traditionnels de visite en face-à-face.
(14) Clusters : groupes d’individus ayant les mêmes caractéristiques et préférences.
(15) Agence Karma Communication Digitale, projet FillMed e-academy | Application 360 Medics
(16) Close loop marketing : stratégie marketing collectionnant les données et des offrants les retours des utilisateurs afin de pouvoir les analyser dans le but d’améliorer le plan de communication et l’expérience utilisateur.